Météo et routages

En mer depuis que l’homme a commencé à naviguer, pouvoir prédire le temps qu’il va faire a toujours été l’une de ses premières préoccupations. Aujourd’hui, grâce au satellites et aux modèles informatiques, les prévisions sont devenues, fiables, très précises et accessibles à tous. Nous faisons une utilisation intensive des gribs pour planifier nos traversées mais aussi pour la navigation au jour le jour et la recherche de mouillages abrités. Le modèle GFS de la NOAA a beaucoup gagné en précision et se montre très fiable depuis la nouvelle version (VF3) de juin 2019 et il est disponible gratuitement en résolution de 3° a 0,25° via de nombreux serveurs. A terre ou sur les côtes quand on peut avoir du wifi ou de la 4G on utilise Zygrib pour télécharger les fichiers.

Au large les gribs nous parviennent par E.mail depuis le serveur Saildoc via l’Iridium Go sur l’ipad. Pour transférer les fichiers joints vers l’ordi nous utilisons Syncios (beaucoup plus flexible qu’iTune pour cette tâche) Pour lire et analyser les gribs, nous sommes restés sur Zygrib qui permet de visualiser facilement toutes les informations disponibles (sauf les courants de surface). Pour choisir les mouillages on les affiche aussi sur Time Zero. Quand c’est possible on utilise aussi les bulletins des stations cotières et les cartes synoptiques (Merci Michel) bien utiles pour confirmer l’interprétation des gribs et identifier les phénomènes atmosphériques complexe.

Les routage océaniques sont effectués principalement sur qtVlm qui est gratuit et permet de faire des simulations intéressantes en faisant varier les paramètres du bateau (% de la polaire) et les limites météo par exemple vent établi mini et maxi, rafales maxi, hauteur vagues maxi et CAPE (potentiel d’orage) maxi. Les routages qtVlm sont convertis en routes et importées dans Maxsea Time Zero au format GPX. Le module routage de Time Zero est aussi très utile particulièrement pour des itinéraires complexes comportant plusieurs waypoints (par ex. parcours le long d’une côte) qui sont beaucoup plus simple à configurer que dans qtvlm.

Par contre TZ ne dispose pas d’autant d’options pour définir les limites météo, par exemple il ne tient pas compte des rafales, hors ce paramètre et l’un des plus important pour nos « petits » bateaux car il définit la force du vent qu’on va réellement subir ainsi que la stabilité du temps (par ex. s’il y a plus de 10 nds de différence entre le vent établi et les rafales il y a de forte chance que le vent ne soit pas non plus du tout stable en direction).

Enfin, pour obtenir des routages raisonnables il faut une polaire fiable. La polaire compile les vitesses théoriques que le bateau peut atteindre en fonction de la force du vent à toutes les allures. Ces courbes (ou tableaux) sont normalement calculées par l’architecte. Pour Rêve à Deux, Luc Bouvet ne l’avait malheureusement pas fournie. Nous sommes donc parti de celle d’un bateaux de taille et de caractéristiques similaires que nous avons ajustée au fur et à mesure que nous découvrions les performances du bateau. Les valeurs obtenues sont maintenant bien représentatives de ce que nous pouvons escompter réellement en terme de vitesse dans notre configuration grand voyage (quant la carène est propre).

La polaire de Rêve à Deux

Comment çà se passe en pratique?

AVANT TOUTE CHOSE on planifie notre voyage très longtemps à l’avance pour être sûr d’être au bon en droit à la bonne saison et on choisit les itinéraires et les destinations possibles en fonction des vents dominants et des courants océaniques pour éviter au maximum d’aller contre eux. Les bonnes vielles « Pilot Charts » sont toujours utiles pour cette première approche.

Pilot chart du Pacifique sud pour le mois de Juillet, il y en a une pour chaque mois

Les grandes étapes de l’itinéraire sont donc définis sur 12 mois, sachant que si on rate une saison (ou un régime de vent dominant) on risque de devoir attendre l’année suivante pour retrouver des conditions favorables. Dans certains passages difficiles soumis à des courants de marée importants (grands caps ou détroits comme par exemple ceux de Le Maire ou de Cook) il sera aussi préférable de choisir une période de marée de mortes eaux pour atténuer au maximum les phénomènes liés à ce courant et garantir une meilleure progression car c’est rarement possible de les franchir dans une seule marée.

Courants dans le détroit de Cook même heure marée coef 84 et 40: presque 1 noeud en moins

Quelques semaines avant la fin de la saison ou la période définie, on commence à étudier les gribs à 16 jours sur une zone couvrant la traversée plus une zone aussi grande que possible en amont.

Exemple de requête grib incluant les principaux paramètre utiles pour le routage

C’est rarement suffisant pour parvenir de l’autre côté mais çà donne une idée de ce qui peut se passer sur la première partie de la traversée et nous permet de choisir la date du départ (quand pourra-t-on partir pour faire le plus de distance en un minimum de temps et dans les meilleures conditions possibles) et permet aussi de choisir un itinéraire évitant vent trop faible ou trop fort, zones instables ou orageuses, trop forte houle. Pour des traversées plus courtes on procède exactement de la même façon, on ne part jamais parce que c’est la date fixée: on part parce que le créneau est favorable et parce que les prévisions nous permettent d’arriver à destination sans rencontrer de mauvais temps ou de calmes trop longs. Celà ne veut pas dire qu’il faille patienter des semaines pour attendre la météo idéale, bien au contraire. Dans de nombreuses régions du globe les créneaux favorables sont très courts. Dans les périodes de départ il faut donc analyser les fichiers plusieurs fois par jour et surtout ne pas hésiter à saisir une opportunité raisonnable quand elle se présente: l’expérience à montré que de meilleures conditions ne pourraient jamais se reproduire avant l’année suivante. Pendant la période de recherche d’une date de départ favorable il faut donc accepter de rester en mode « standby » prêts à partir dès qu’un routage acceptable tombera.

Minerva reef, récif affleurant à peine au milieu de l’océan Pacifique est un lieu de standby très prisé pour attendre des conditions favorables pour le passage jusqu’en Nouvelle Zélande.

Une fois partis, nous continuons à produire de nouveaux routages 2 fois par jour pour nous adapter à l’évolution des conditions en route. Il est évident qu’on ne peut pas se contenter d’ancienne données car, en dehors du déplacement général des macro-phénomènes, la fiabilité des prévisions est bonne en général sur 48 heures mais se dégrade ensuite beaucoup et des changements importants (favorables ou défavorables) interviennent fréquemment. Internet n’étant pas disponible au large, on envoie donc des requêtes email à Saildoc via l’Iridium Go pour en général une très grande zone le matin (par ex. 1000 X 2000 miles) avec seulement vent, rafales, pression et température toutes les 6 heures sur 16 jours (ou la durée restante si moins de 16 jours) pour pouvoir peaufiner l’itinéraire et se faire une idée de l’évolution de la situation devant nous (et derrière en fonction des régimes) et le cas échéant envisager le contournement d’un phénomène météo probable suffisamment longtemps à l’avance. Le soir on demande une zone plus petite (par ex. 200 x 100 miles) avec vent, rafales, température, pression, vagues, couverture nuageuse, précipitations et tendance orageuse (CAPE) toutes les 3 heures pour 36 ou 48 heures sur une maille plus fine (0,25) pour avoir une idée plus précise du temps qui nous attend dans les prochaines heures et pouvoir prendre les décisions importantes sur la voilure (par exemple garder ou non le spi pour la nuit) la façon de mener le bateau (quand virer ou empanner, contourner une zone orageuse, préparer le bateau pour du gros temps etc). ATTENTION: chaque fois qu’on charge un nouveau grib il faut bien vérifier ses dates de début et de fin. Il arrive parfois que le système envoie par erreur un fichier déjà périmé ou tronqué. En général il suffit d’envoyer une nouvelle requête un peu plus tard pour que tout rentre dans l’ordre.

Pour nous aider dans cette stratégie à court terme, parce que les fronts, les thalwegs (through en anglais) et dorsales (ridge) ne sont pas toujours des phénomènes faciles a identifier sur un grib car ils sont tridimensionnels (mouvements horizontaux et verticaux), alors que nous ne téléchargeons que les données surface ou 10m qui montrent les mouvements horizontaux seulement, notre ami Michel à Férrière nous fait parvenir les cartes météo et prévisions pour la zone ou nous nous trouvons pour les prochaines 48 heures.

Cartes radiofax (très petite taille, facile à télécharger) disponible à https://www.weather.gov/marine/hawaii

L’idée directrice pour le long aussi bien que le court terme est d’anticiper au maximum pour garder en permanence la possibilité de modifier la route afin d’éviter de subir des conditions trop difficiles ou trop défavorables.

Conditions très clémentes dans le détroit de Le Maire

Il est clair que même si nous attachons beaucoup d’importance aux routages nous ne les suivons jamais aveuglément. L’analyse des conditions probables sur le parcours et notre décision quant à celles qui nous semblent acceptables est beaucoup plus importante. Il nous arrive souvent de rajouter un ou plusieurs waypoints intermédiaires dans le routage pour éviter une zone ou nous ne souhaitons pas passer. De même nous suivons rarement les petites variations de cap proposées pour optimiser la VMG en fonction du vent local, le gain étant en général négligeable et la route la plus directe reste en général la meilleure option.

Vent 25 nœuds à 175°, génois tangonné, GV un ris, vitesse 9 nœuds, on ne gagnerait rien de plus sur la route en faisant de la VMG à 150° du vent …

Nous avons certainement eu beaucoup de chance jusqu’ici (et on touche du bois pour que çà continue) et encore beaucoup à apprendre dans la compréhension des phénomènes météos mais en procédant de la sorte nous avons réussi à éviter pas mal de mauvais temps et de calme plats soit en différant ou avançant notre départ soit en faisant de larges détours pour contourner des zones perturbées.

La route la plus courte n’est pas toujours la meilleure: le détour proposé nous a permis une traversée sans vent supérieur à force 6 ni vague de plus de 2,50 m (contre force 8 et vagues de 6m sur la route directe)