Grand voyage et déplacement.

Dans notre vie d’antan (lointain souvenirs), un voyage professionnel s’appelait un déplacement (comme dans: « frais de déplacement »).

Pour un bateau, le déplacement c’est le poids du volume d’eau déplacé par la partie immergée de la coque et qui étant égal au poids du navire lui permet de flotter. C’est le principe de ce brave Archimède qui après tous ces siècles continue à pousser.

Dans cet article, on va donc vous parler de poids en grand voyage.

Sur un bateau de voyage, c’est dur de faire léger surtout si l’itinéraire prévoit de passer des régions tempérées aux tropiques puis à des zones carrément froides. Quand on vit à bord pour de longues périodes on aime s’entourer d’un minimum de confort et pour les longues traversées et les escales loin de tout, on veut être sûr de pouvoir faire face à toutes les situations. Donc matériel et équipement en double, outillage abondant, nourriture pour plusieurs semaines, eau, gas-oil supplémentaire en bidons, troisième mouillage, voiles de rechange, matériel de plongée et de locomotion terrestre etc. Rêve à Deux n’échappe pas à la règle : on est lourd !

Les lignes générales de Rêve à Deux peuvent faire penser à celles d’un Class 40 ou d’un IMOCA , mais il n’a pas été conçu comme un déplacement léger. Son ratio longueur déplacement le place dans la catégorie des déplacements dit modérés ou si vous voulez, moyen. Son déplacement a été calculé par l’architecte à 9,5 tonnes. C’est 4 tonnes de plus qu’un Pogo 12,50, 2t de plus qu’un RM 1260 mais 1t de moins qu’un OVNI 435 et 3t de moins qu’un Halberg Rassy 42F, d’un Cabo Rico 42 ou d’un Island Packet 425 (modèles très prisés par les navigateurs Américains). De façon purement théorique, plus le bateau est lourd de conception moins l’impact relatif de la surcharge grande croisière sera important et par voie de corolaire plus on devrait pouvoir le charger. En gros, sur un déplacement léger type Pogo il faudra apprendre à n’emporter que le stricte minimum alors que sur un déplacement lourd genre Halberg Rassy on ne sera limité que par la place disponible à bord. Rêve à Deux se situe quelque part entre les deux: on a énormément de place à bord (coffres immenses) mais il ne faut pas en abuser…

La cabine avant est très confortable…une fois les spis rangés ailleurs.

En configuration course, il à été pesé à 9,3 tonnes par le jaugeur avant le départ de la Transquadra (avec les voiles, les coussins, 4 batteries et 80 litres de fuel mais pas d’annexe ni d’effets ou de provisions) nous sommes donc bien dans le déplacement calculé par l’architecte. Mais dans sa configuration grand voyage avec tous nos effets personnels pour l’été et l’hiver, beaucoup de matériel de rechange, outils et provisions, annexe, kayak, trottinettes, bouteille de plongée, bouteilles de gaz, chauffage, frigo supplémentaire, 3 ancres, des kilomètres d’amarres dont 300m sur 2 enrouleurs, 5 batteries de servitude 120A/h (au lieu de3), 450 litres de fuel et 600 litre d’eau on dépasserait gaillardement les 11 tonnes d’après les instruments des « travlifts » qui nous ont levés . J’ai d’ailleurs calculé le poids ce tout ce que nous avons à bord en plus de ce qui y était lors du jaugeage et on arrive effectivement à plus de 2 tonnes soit environ 25% de plus qu’en configuration course.

Contrairement au problèmes rencontrés par beaucoup de déplacements dit légers, quand ils sont trop chargés, les performances de Rêve à Deux ne souffre pas outre mesure de cette surcharge pondérale si ce n’est peut-être dans les toutes petites brises au portant où on a parfois du mal à démarrer dans les risées et dans le médium ou le départ au planning requiert un peu plus de vent qu’en configuration « course ». Mais avec notre grande longueur à la flottaison la vitesse critique (ou vitesse de coque) est déjà d’environ 8,5 nœuds donc çà va déjà bien sans planer. Par vent plus fort et mer formée de l’arrière, le bateau plane gentiment à une dizaine de nœuds avec des surfs jusqu’à 14 en descendant naturellement sur la vague sans accélération brutale ni ralentissement intempestifs, l’étrave soulage bien et la barre reste douce et précise. Un vrai régal!

Ce surpoids entraine un en foncement de la ligne de flottaison de presque 5 cm, qui augmente bien sûr la surface mouillée particulièrement sur l’arrière mais les formes de Rêve à Deux font que cette différence s’estompe dès que le bateau gite un peu

L’assiette d’un bateau est très importante et plus il est chargé plus cela est vrai. Sur Rêve à Deux, on fait toujours très attention à ce que les charges soient bien réparties en longitudinal comme en latéral et soient placées le plus bas possible de façon à ne pas nuire au couple de redressement (et si possible à y contribuer un peu). Surtout qu’on a pas l’intention de « matosser » à chaque virement de bord (matosser: déplacer le matériel du côté au vent pour augmenter le couple de rappel)!

Par exemple les jerrycans de gasoil supplémentaires ne sont pas amarrés dans les filières comme on le voit sur beaucoup de bateaux de voyage mais assurés au fond des coffres arrière au niveau de la flottaison. Idem pour l’annexe en traversée elle est pliée au fond d’un coffre (on a la chance d’avoir d’immenses coffres arrières). Pour des traversées courtes (jusqu’à 2 semaines) on ne remplit pas le réservoir d’eau avant (-300kg), surtout si on attend principalement du portant sur le parcours. On essaie aussi de penser plus léger, par exemple, la table de cockpit en teck massif qui de toute façon ne tenait pas sous la véranda a été remplacée par une table de type camping en alu (-20kg). La survie pour 8 personnes par une pour 4 (-30kg) et les bocaux en verre où on stocke pattes, riz, farine, sucre etc par des bouteilles et des bocaux plastiques beaucoup plus léger et moins fragiles (-10kg). Le chauffe eau en parfait état de marche mais dont on ne se servait jamais: trop d’eau gaspillée en attendant que l’eau chaude arrive au robinet, a été débarqué ( -60 kg). Les grandes aussières (100 et 200 m) sur enrouleurs qui nous servent à nous amarrer à terre dans certain mouillages sont en Dyneema beaucoup plus légères que des aussières polyéthylène traditionnelles de résistance équivalente (-45 kg). Sans oublier le pont en teck qui était trop abimé et que nous avons enlevé et remplacé par une peinture antidérapante après réfection du pont (-60 kg). On a aussi beaucoup de choses qui ne servent que très rarement (par exemple les matelas de la cabine avant ou certains outils spécialisés) et qui habituellement pourraient être stockées au grenier ou au garage à la maison en attendant d’en avoir besoin mais quand on fait le tour du monde on est bien obligé de les garder à bord.

Par contre, à cause de ce poids plus élevé, même si le gréement et la structure sont largement dimensionnés et les performances peu affectées, nous naviguons de façon beaucoup plus conservatrice pour éviter de les fatiguer inutilement. En fonction de l’état de la mer on « lève le pied » en anticipant les réductions de voilures pour éviter d’être sur-toilé ou de faire taper le bateau dans le clapot. Par voie de conséquence il faut aussi ne pas hésiter à renvoyer de la toile dés que le vent molli.

Un peu plus de travail donc mais quel plaisir de bien marcher sans faire souffrir notre Rêve à Deux ! Et puis avec le retour de toutes les manœuvres sous notre véranda c’est tellement facile d’ajuster la voilure: on peu même rester en pyjama et chausson pour le faire…