Bonjour Raivavae (rétrospective)

A peine la passe franchie (bon alignement très peu de courant – attention si vous utilisez des cartes d’il y a quelques années elles sont décalées de plus d’un mille vers le nord) on se fait cueillir dans le lagon par un grain bien musclé accompagné de pluie torrentielle. On nous avait pourtant prévenu: les Australes c’est pas bon à cette époque ci de l’année. Les dépressions du même nom remontent régulièrement au dessus de 30°S et génèrent des vents forts et des précipitations importantes. Et bien nous y voilà!

Mais ce n’est qu’un grain et dès qu’il et passé, le relief spectaculaire de l’île avec ses pics escarpés et ces falaises abruptes apparait entre les gros nuages noirs menaçants s’accrochant aux sommets et la brume inquiétante montant des vallées. Pour un peu, on se croirait revenu à l’ère jurassique et on ne serait pas surpris d’apercevoir un dinosaure (genre T.rex) ou un gros singe (style King-kong) se faufilant entre deux arbres pour nous accueillir.

L’île est entourée par une barrière de corail affleurante du nord au sud en passant par l’ouest sur cette partie il n’ya que 2 ou 3 petits garnis d’arbres (résineux ressemblant à des filaos). Par contre, du sud est au nord en passant par l’est, le lagon est beaucoup plus important, la barrière continue avec de très grands motus. Dans le lagon l’eau est d’une clarté surprenante . A Rairua, mouillés à 200 m devant le quai dans 13 mètres d’eau on voit le fond et on arrive même à distinguer l’ancre et ce n’est pas l’endroit le plus clair du lagon. Nous sommes le seul voilier (mais où sont les copains?)aussi nous avons pris nos aises et joué la sécurité en mouillant avec 70 m de chaîne.
Nous avons hâte d’aller à terre mais la dépression orageuse générant des trombes d’eaux nous y empêche. En peu de temps nous récupérons plus de 200 litres largement de quoi faire (enfin) une méga lessive et le plein des réservoirs.

Dimanche matin, le temps se calme comme prévu et c’est aussi l’arrivée du Tuhaapae, la « goélette » (cargo) qui ravitaille les îles Australes. On le repère à l’AIS avant qu’il entre dans la passe et on l’appelle à la VHF pour vérifier qu’on est suffisamment écarté du quai pour ne pas le gêner. Pas de soucis nous répond-il vous êtes bien là. Aussitôt à quai il débarque ses passagers (Raivavae est avec Tubuai la seule île des Australes disposant d’une piste d’atterrissage, pour les autres il n’y a que la goélette et ses containers).Mais Ici nous sommes dans une île de forte tradition protestante où toutes activités autre que le culte et le repas en famille sont strictement proscrites le dimanche et même si l’approvisionnement est vital, et l’horaire chargé, le bateau de ravitaillement doit s’adapter aux coutumes. Nous aussi nous nous plierons à la règle (discipline oblige): pas de baignade. Mais que voici ? Un foil surf profite du vent encore soutenu pour faire des aller-retour à donf entre la barrière et le quai juste à l’heure du culte, mais c’est le mari de l’infirmière, il doit avoir une dérogation .

L’après midi n’y tenant plus, nous allons à terre nous dégourdir les jambes et explorer un peu les alentours. Sur le quai, l’équipage du Tuhaapae joue aux boules pour tuer le temps. Dans le village, à part les pompiers ,la mairie, l’église, (ils sont protestants mais ils parlent d’église et non temple comme on le fait en métropole), la gendarmerie, il n’y a que quelques maisons par-ci par-là mais pas de restos ni de bistro. La rue et déserte exception faite de quelques jeunes, assis sur les marches le long de la mairie et devant la poste qui profitent du wifi gratuit offert par la commune (le weekend seulement). Çà ne fait rien, l’île est belle et si nous rencontrons très peu de monde la végétation elle, est très dense. Passage de la petite traversière et tour de la peninsule sud-ouest. Quel calme même les chiens et les coqs se font oublier. Le tout donne une impression de beauté tranquille et de sérénité.

Lundi nous réservons la matinée pour les démarches administratives. Nous commençons par la gendarmerie pour déclarer notre arrivée. La brigade de Rivavae est responsable de tout l’archipel des Australes mais ils ne sont que deux : un brigadier chef passionné de voile (mais pas encore pratiquant) et sa jeune collègue (aux yeux bleus si rieurs). Les formalités accomplies ils se transforment en syndicat d’initiative et nous renseigne très gentiment sur tout ce qu’il’y a à voir et à faire sur l’île. Nous en profitons pour discuter de la situation et des rumeurs que nous avons entendues (interdiction du lagon aux voileux et malaise voire tension avec la population). Ils nous rassurent, pendant le pic de la pandémie, beaucoup de bateaux sont venus se réfugier ici, tous dans le lagon Est devant un grand motu semi-circulaire (appelé le motu piscine) abritant un magnifique bassin au fond de sable pouvant accueillir jusqu’à 20 bateaux en les protégeant de tous les vents. Leur présence prolongée (jusqu’à 3 mois) a, certes, créé l’inquiétude des riverains et il y a eu des discussions en vue d’une interdiction mais rien n’a abouti et il n’y a aucune restriction légale quelle qu’elle soit, mis à part que tous les motus sont privés et qu’on ne peut donc pas y débarquer sans la permission du propriétaire. Bon, le lagon Est n’est donc pas interdit mais avant de s’y risquer on va tout de même aller voir à pied histoire de prendre l’avis des anciens du coin. Quelques jours plus tard on profite du beau temps , pour prendre la grande traversière et passer se l’autre côté (foret extraordinaire, vue magnifique). A Vaiuru, les habitants sont occupés à préparer un grand repas. Plusieurs anciens sont là, je leur pose la question sur les voileux et le lagon. Ils sont restés trop longtemps, me disent-ils. Ils ont été là pendant trois mois, pêchant les poissons du lagon et ramassant les coquillages qui servent à faire les colliers Polynésiens. On en saura pas plus, seulement des rumeurs s’amplifiant et résultant en un ras le bol collectif. Mais du coup, ils ont demandé l’interdiction du lagon aux plaisanciers. Et pour eux c’est comme si c’était fait. En fait, la demande doit passer au conseil municipal puis au gouvernement à Papeete mais rien n’a bougé et la demande à peu de chance d’aboutir. Ceci dit nous ne voulons pas mettre de l’huile sur le feux on restera donc sagement dans notre mouillage devant le village de Rairua surtout qu’en dépit de tout çà tous les insulaires que nous rencontrons nous accueillent à bras ouverts.

Nous avons fait la connaissance de: Maurice, l’agent de la police municipale qui nous a apporté un régime de bananes , plusieurs kilos d’oranges (les plus parfumées que nous ayons goûtés jusqu’ici et qui nous a offert un quart de cochon lors de notre départ; Marguerite qui nous a expliqué comment nous connecter au wifi de la mairie et qui nous a montré la petite traversière; Zélda qui tient une épicerie a Vaiuru de l’autre côté de l’île qui n’avait plus d’oeufs mais plein de gentillesse; de la petite épicerie en face du port qui nous donne des papayes à point, des bananes (encore!) et des pamplemousse gouteux et sucrés je transforme le tout en une confiture au goût délirant, une vrais tuerie…

C’est peut-être là le problème de l’île: les épiceries (ici on dit magasin) ne vendent rien à part quelques conserves. Tout le frais est produit par les habitants pour eux même. Il est hors de question pour eux d’en vendre mais il veulent tout le temps nous en donner. A court terme c’est touchant, à moyen terme c’est embarrassant surtout que c’est difficile pour nous de trouver quelque chose à donner en échange mais sur le long terme c’est carrément intenable.
En profitant d’un temps clément toute la première partie de la semaine nous avons alterné randos sur l’île et ballade en canoë/snorkling. En passant la pointe à l’est du mouillage nous avons découvert une plage de rêve , sable blanc magnifique sur fond de forêt tropicale et montagne en arrière plan. C’est Mahanatoa, le deuxième village de l’île ou se trouvent l’école et le collège. Juste sur la plage il y a aussi une autre église. C’est là que se tient un séminaire réunissant 80 personnes, diacres et pasteurs, venus de toutes les Australes. Ils sont arrivés dimanche par le Tuhaapae et repartent par le prochain dans 10 jours (pas d’autre moyen pour rentrer chez eux). Le séminaire a lieu 2 fois par ans sous l’égide du pasteur Rono. Pour nourrir tous ces gens chaque district de l’île préparent les repas de la journée à tour de rôle.
Mardi c’était le tour de Rairua , le four Polynésien est préparé la veille , on creuse un grand trou dans lequel on fait un grand feu ou on met des pierres de lave. On tue le cochon on le découpe et on le met dans de grandes marmites avec des feuilles de tarots. on emballe des poissons dans des feuilles de bananiers ( des chirurgiens très très bon et qui n’ont pas la gratte). On recouvre le tout de feuillage et des troncs fendu de bananier, on y met les marmites et les poissons emmaillotés dans leur feuilles. La dessus une grande bache puis de la terre pour tout recouvrir. La cuisson à l’étouffé durera le reste de la journée plus la nuit . Ce n’est que le lendemain matin que l’on découvre le tout pour organiser dans les plats . « Tu n’as pas besoin de dents pour manger le cochon tellement il est tendre » nous dit un grand père de son sourire édenté. Tout le monde s’affaire et tout doit être prêt pour le séminaire à midi . Comme jus de fruit du corossol, un fruit délicieux que nous avait fait découvrir Muriel et Tetu sur Rikitea . Je demande à une jeune femme mais, vous, que mangez-vous ce midi . Du poulet et du riz ah c’est largement moins bon que les abats du cochon me répond t – elle en se léchant les babines… Au passage ils acceptent de nous vendre quelques poissons chirurgien (umé)congelés dont on se régalera.
A Mahanatoa nous arrivons à la fin du repas , des femmes endimanchées débarrassent les tables. Il y a beaucoup de restes et ils sont partagés entre eux et aux gens de passages . Gentiment ils nous nous font gouter et nous donnent un plateau tressé en feuille de coco rempli de bananes cuite, tarot, patates douces et châtaignes polynésiennes nous disant que sinon cela ira aux cochons.

Encore deux jours de mauvais temps. Même si entre deux grains de pluie nous aurions sans doute assez de temps pour une courte promenade à terre, nous n’osons pas quitter le bateau tellement le clapot est fort. Samedi le temps s’améliore et une belle accalmie nous permet de passer une matinée paradisiaque en plongée tuba sur un petit récif autour du motu . L’après midi nous allons marcher de l’autre côté de l’île et c’est un pêcheur de bénitier avec qui nous faisons connaissance , il nous vend une petite partie de sa pêche en nous expliquant comment cuire ce coquillage. Sa femme nous prépare deux noix de coco et nous donne une pousse de gingembre.

Dimanche, après le mauvais temps d’ouest de la fin de semaine, le vent d’est-sud-est assez soutenu s’établi. Il devrait souffler pour quelque jours (malheureusement accompagné de fort grains et de pluies) avant de s’effondrer en fin de semaine et repasser au nord-ouest. C’est une opportunité à saisir pour une traversée peut-être pas très confortable ( 3 m de creux annoncés) mais rapide vers Tahiti. On aurait bien aimer rester encore un peu mais le mouillage risque d’être très instable sous les grains et s’il pleut beaucoup, nous n’avons pas envie d’être cloîtrés sur le bateau toute la semaine. La décision comme toujours est vite prise et lundi matin 14 juin 2021 à 11 heures, après un court passage à terre pour dire au revoir à Maurice et aux gendarmes, nous quittons Raivavae sous un ciel couvert et 25 noeuds de vent.

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