Le parcours de Mayotte à travers l’histoire n’a jamais été un long fleuve tranquille et tant s’en faut. Premier peuplements venant du continent Africain, envahisseurs Arabes, luttes incessantes avec les îles voisines de l’archipel des Comores et entre ses propres sultans, traite des esclaves par les Arabes et les Indonésiens puis les Portugais, Mayotte entre finalement dans le giron de la France pendant la dernière partie du 19ème siècle dans le cadre d’un protectorat regroupant l’ensemble des Comores et Madagascar. C’est aussi l’époque de l’abolition de l’esclavage qui est rapidement remplacé par le travail forcé dans les plantations.

ISBN :978-2-7468-3905-2
Après la deuxième guerre mondiale, L’ONU fait pression sur les puissances coloniales comme la France pour rendre leur indépendance aux peuples autochtones. En 1974 la France s’apprête à signer un traité faisant de l’ensemble de l’archipel des Comores un nouveau pays libre et indépendant. Mais les mahorais voient d’un très mauvais œil d’être amalgamés aux autres îles de l’archipel avec lesquelles ils se sont tant battus par le passé. Ils font pression sur le gouvernement et un référendum, pour ou contre l’indépendance est organisé séparément dans chaque île. Mayotte vote à une écrasante majorité contre, alors que le reste de l’archipel fait le choix inverse. Mayotte devient Territoire d’outre-mer. Ce n’est qu’en 2009 qu’un nouveau referendum est organisé et que l’île devient le 101ème département Français. Mais la paix et la sérénité de l’archipel ne sont pas pour autant au rendez-vous.

Ce département, qui compte 275 000 habitants officiellement recensés (mais plus de 300 000 en réalité), ne dispose pratiquement d’aucune ressource, pas d’industrie ni d’agriculture (à part quelques maraichers régulièrement pillés et une production anecdotique de vanille et d’ylang-ylang), très peu de pêche, un tourisme exsangue malgré un cadre magnifique. Des efforts semblent être fait au niveau des infrastructures (port, aéroport) mais les petites communes manquent d’infrastructure collective, le réseau routier est saturé et dans un état déplorable, les bâtiments publics ne valent guère mieux. A titre d’exemple, dans le centre historique de Dzaoudzi – chef lieu officiel du département- depuis les secousses sismiques de 2019 qui ont légèrement endommagés de nombreux bâtiments, tout est laissé à l’abandon… sauf la caserne de la légion étrangère qui a été entièrement remise à neuf…çà en dit long sur les priorités! Nous ne sommes ni sociologue ni économiste mais combinez cette situation déjà désastreuse à une forte immigration clandestine et une démographie galopante et on se retrouve en présence de tous les ingrédients d’un cocktail explosif.










Et de fait, avant de venir et lors de notre arrivée, beaucoup de gens nous avait dit faite attention ne sortez pas seul surtout le soir, il y a beaucoup d’agressions. Nous ne voulions pas trop y croire, et fort heureusement il ne nous est personnellement rien arrivé pendant notre séjour mais en revenant de Kweeni… la personne qui nous prend fort aimablement en stop insiste pour nous amener directement à la barge (le bac qui relie Grande terre et Petite Terre) « je n’avait pas prévu d’y aller » nous dit-il « mais c’est plus prudent parce qu’hier, ici, c’était la guerre, des jeunes se battaient avec le forces de l’ordre à coup de barres de fer de haches et de machettes ils ont cassé des voitures et mis le feu » (un coup d’œil sur Mayotte la Première confirme les faits).

A peine rentrés au club on apprend que sur petite Terre un magasin vient d’être mis à sac et le local technique de la mairie vandalisé, butin de l’opération : une douzaine de machettes et plusieurs tronçonneuses et ce n’est sûrement pas pour jardiner. Qui sont les auteurs de ces actes ? Des voyous ? Des émigrés clandestins ? Non ! Ce sont des enfants de 9 à 17 ans avec des papiers en règle pour la plupart. Le livre de Nathacha Appanah Tropique de la violence (ISBN : 9782070197552) donne une idée poignante de la situation.

Nous avons aussi assisté en direct à un autre événement dramatique alors que nous quittions l’île mardi 24 août 2022, à 08:30, le CROSS diffuse un MAYDAY RELAY sur le canal 16. Quelqu’un vient de signaler une coque renversée dans le lagon sud. Étant déjà plusieurs milles au nord de l’île, nous mettrions une bonne demi journée pour arriver sur place, nous continuons donc notre route, mais anxieux, nous écoutons les échanges à sur la VHF. Très rapidement un hélicoptère et des embarcations de secours arrivent sur zone. Après quelque temps de recherche, les premiers naufragés sont repérés mais ce n’était qu’un début, le dernier message du CROSS avant que nous soyons hors de portée faisait état de non plus une mais quatre kwasas (barques locales) renversées. De nombreux naufragés avaient été récupérés mais une dizaine de personnes dont 5 enfants manquaient toujours. Le vent soufflait à 20-25 nœuds mais la mer n’était pas mauvaise qu’est qui a provoqué ce drame ? Sans doute les embarcations surchargée et le choix d’une passe difficile pour éviter d’être repérer. Ce type d’accident dramatique est malheureusement tellement fréquent que les médias n’en parlent même plus Mais pourquoi prendre de tels risques?
Anjouan, la Comore la plus proche n’est qu’à une quarantaine de milles, à peine une nuit en kwasa même surchargé. La différence de niveau de vie entre le département et ces îles parmi les plus pauvre du monde semble tel qu’il justifie amplement le risque aux yeux des malheureux. Le service de santé de ce pays est extrêmement cher quand il existe. Bien sûr beaucoup seront reconduit chez eux, quelques uns passerons entre les mailles du filet et s’évanouiront dans la nature ou ils essayerons de se faire oublier. Ceci est le moyen le plus risqué, mais il y a aussi les simples visites à la famille (malgré des siècles de conflit la proximité des îles fait que beaucoup de familles ont des proches ici) qui s’éternisent. Dans tous les cas, les femmes enceintes proches d’accoucher sont prises en charge et en vertu du droit du sol le bèbè est automatiquement français. Les mères venues en kwassas sont ensuite expulsées les autres sont contraintes de rentrer chez elles faute de visa et de travail mais plutôt que de repartir avec leur enfant et l’exposer à une vie de misère elles préfèrent l’abandonner sur place ou il pourra bénéficier de tout les bienfaits de notre glorieuse république. Sauf que… passé la toute première période les proches qui ont pu s’occuper de l’enfant quelques temps n’en ont plus les moyen et au bout de quelques années le gamin se retrouve livré à lui même, sans école, sans éducation sans autre référence que les bandes et leurs sombres trafics. Plus de 10 000 enfants vivant sur l’île ne seraient pas du tout scolarisés.
Dans un domaine beaucoup moins violent, Porani ce village paisible de la baie de Bouéni. Commerçants sympathiques et maisons pimpantes peintes de couleurs vives mais barricadées de tôles, rues jonchées d’épaves de voitures au pneus crevés, ordures partout et égout à ciel ouvert à l’odeur pestilentielle se déversant directement dans la mangrove: est-ce un cadre propice à l’épanouissement d’une jeunesse qui a déjà perdu tout espoir.

Que faire pour Mayotte ? Cette situation devenue endémique et se détériorant de jour en jour est malheureusement un tremplin pour l’extrême droite et ses discours sécuritaires ainsi que le retour chez certains d’une attitude colonialiste.
Notre ministre de l’intérieur à fait le déplacement pendant notre visite. Quelles solutions propose-t-il ? De réformer le droit du sol pour éviter que les enfants nés d’immigrés ne deviennent automatiquement français et de créer des camps d’internement éducatif gérer par l’armée pour les enfants trop jeunes pour être mis en prison… peu de chance que çà les rendent moins violent ! Mais la solution n’est sûrement pas simplement dans la répression une sécurité renforcée, plus de flics, de verrous et de barbelés. Non ! Il faudrait sans doute essayer de doter l’île d’une vraie économie permettant le plein emploi, renforcer l’infrastructure dans les villages et les quartiers, développer le système éducatif et social et pourquoi pas travailler en étroite coopération avec le gouvernement des Comores pour que des comoriens n’aient plus besoin de prendre ce tels risques. Ce reportage de France Info de 2013 reste plus que jamais d’actualité et résume bien la situation actuelle du département.

Nous ne sommes que de pauvres navigateurs au long cours, que pouvons nous comprendre à une situation aussi complexe après seulement quelques semaines passées sur place ? Pas grand-chose sans doute ! Mais ce que nous avons vu nous a fait très mal au cœur !

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