Mer Rouge 2: de Suakin à Suez

Après quatre jours d’escale bien remplis, nous avons prévu de repartir de Suakin le 14 octobre au matin. Mais nous avions oublié que nous étions vendredi, jour de prière en terre Islamique. Vers 09:00 heure à la quelle Mohamed devait nous apporter notre clearance, il nous téléphone pour nous dire qu’il n’y a personne au bureau de la douane et qu’il n’est pas sûr que l’on puisse partir aujourd’hui. Mais il va essayer de faire le maximum et vers 11:00 ses gars viennent finalement nous apporter le fameux document, on peut partir. Bravo et Merci Mohamed.

Le temps est beau avec une brise légère de secteur Nord. Pour en profiter et réussir à garder une bonne vitesse à la voile nous décidons de passer entre les récifs et le continent. Le chenal est suffisamment large, bien cartographié et sert d’abri à de nombreux cargos à l’ancre. Le paysage jusqu’à Port Soudan, comme nous avions pu nous en rendre compte en y allant en taxi l’autre jour, est morne et plat, la brume poussiéreuse du désert ne permet pas d’apercevoir les montagnes en arrière plan. La nuit tombe peu après avoir passé l’entrée de Port Soudan. Nous continuons à tirer nos bords dans cette étroite bande d’eau parfaitement calme. Au petit matin nous découvrons un paysage totalement différent. Toujours aussi aride et désertique (sinon plus : les rares arbustes visibles hier ont tous disparu) mais avec un relief tourmenté de dunes et de collines où les couleurs passent du gris au rouge en passant par le jaune pâle.

En milieu d’après-midi nous jetons l’ancre au milieu de Marsa Inkelfal, une petite baie bien protégé entourée de dunes de sable avec au fond une petite mangrove et une tente de pêcheur et leur 2 barques. Baignade et snorkeling sur le recif. Dimanche matin nous repartons dès le levé du jour. Nous profitons de la légère brise de Nord Ouest pour franchir à la voile sans tirer de bord la passe de Mesharifah et le chanal balisé qui permettent de passer directement de la baie d’Hawaia au large en rasant la côte sud de Ras Abu Shagrab, une matinée de rase cailloux comme on les aime ! Mais il est temps de prendre une grande décision : profiter encore un jour ou deux de cette superbe côte Soudanaise et visiter une ou deux marsas ou profiter du beau temps pour continuer tout de suite vers Suez. Après avoir consulté les gribs des modèles GFS et ICON pour le vent et RTOFS et Copernicus pour les courants, effectué des routages sur plusieurs jours et des itinéraires différents le choix est assez facile : si on attend on aura des calmes au début et du vent trop fort sur la fin si on continue sans s’arrêter au aura un vent moyen sur la plus grande partie du parcours.

Les bords s’enchaînent en fonction de la rotation du vent. Une première nuit puis on tire un long bord NNE vers la côte Saoudienne pour profiter d’un vent plus favorable et éviter le courant plus fort le long de la côte Égyptienne. Au matin plus de vent du tout, la mer est lisse comme un miroir, nous sommes au moteur. Tout une famille de dauphin vient jouer avec notre étrave on en compte jusqu’à 14. L’eau est d’une transparence étonnante. Ils restent avec nous un bon quart d’heure avant de poursuivre leur route. Ces rencontres sont toujours des moments privilégiés.

Peu avant le coucher du soleil, nous sommes dans 12 à 14 nœuds de vent, on prend un ris car le vent devrait monter un peu dans la nuit. Domi jette un coup d’œil aux voiles par le capot avant. Il revient tout de suite en disant : on enroule, on enroule ! Le foc c’est à nouveau déchiré cette fois juste en dessous de la réparation effectuée à La Réunion. Trinquette et grand voile haute, on manque certes de puissance pour passer dans cette mer très courte mais Rêve à Deux ne se comporte pas trop mal dans les 15 nœuds de vent que nous avons cette nuit, on verra demain si ça se calme un peu pour changer de foc. Le lendemain après-midi le vent descend à 11 nœuds. On se prépare pour la manœuvre. Domi est à l’avant, je déroule et il libère la drisse mais la voile ne descend que de 2 mètres. Je le rejoins au mât, on r-hisse et on réessaie, toujours bloqué, on fait plusieurs nouvelles tentatives, mais maintenant pas moyen de hisser non plus. Domi commence sérieusement à s’énerver. D’en bas on ne voit rien de particulier sur le profil, il faudrait monter pour voir ce qui se passe et réparer mais dans cette mer courte çà bouge de trop surtout qu’il faut s’écarter du mât pour bricoler sur l’étais. Il faudra attendre l’arrivée pour le faire en toute sécurité. En attendant, on arrive tout de même à enrouler la voile en repliant la partie déjà affalée sur elle même. Le résultat n’est pas très joli à voir mais le haut de la voile et bien serré et on saucissonne le reste avec les 2 drisses de spi pour que le vent ne puisse pas prendre dedans (logiquement on ne devrait pas avoir besoin de hisser le spi avant l’arrivée). Nous continuons donc avec pour seule voile d’avant notre vieille trinquette de 25m2 et bien sûr c’est là que le vent choisit de mollir encore. Dans plus de 12 nœuds on arrive à maintenir une vitesse raisonnable en dessous de 10 on escalade plus le clapot court et la vitesse peut descendre à moins de 2 nds. Dans ces cas là on met le moteur et on remonte un peut plus sous grand voile seule. Notre indicateur clé pour choisir l’angle avec le vent est la VMC (« velocity made course » ou vitesse en gain réel sur la route similaire à la VMG), les résultats sont parfois surprenant en raison de cette mer qui freine énormément le bateau si on la prend de face. Ainsi moteur à 1500 tours sur la route directe face au vent nous ne progressons qu’à 1 nds alors qu’en abattant de 35°nous gagnons 3 à 4 nœuds avec le moteur seulement à 1200 tours (soit une VMC de 4 nds).

Nous avions choisi l’option de remonter côté Arabie, à cause du courant qui devait être favorable mais en fait il devenait de plus en plus fort contre nous, on se recentre donc plus vers le milieu de cette mer si particulière et au bout de quelques temps nous retrouvons un courant favorable : les deux modèles de courant bien que montrant des résultats différents étaient archi faux tous les deux.

Le courant prevu par le model Européen copernicus à gauche et par le modèle Américain RTOFS à droite

Les modèles de vent ont eux aussi leurs aberrations, pendant toute une journée nous aurons du NE alors que les modèles annonçaient tous les deux du NO, la force était cependant correcte. Finalement, comme nous nous approchons du golfe d’Aqqaba, la mer commence à s’aplatir un peu nous permettant de retrouver des performances plus normales malgré notre manque de toile

Le 21/10/2022 peu après le coucher du soleil, soit 5 1/2 jours après avoir quitté Marsa Inkelfal nous apercevons les lumières du Cap Muhammad : nous entrons dans le golfe de Suez en ayant recouru au moteur pour une quarantaine d’heures seulement – avec un foc nous aurions pu nous contenter d’une dizaine d’heure voire moins. Mais nous ne sommes pas encore arrivés il reste 175 milles à faire contre le vent. Pour cette partie, notre foc ne nous a pas fait défaut. Le vent est rarement descendu en dessous de 14 nds et la trinquette était bien adaptée au fréquents virement de bord. Nous longeons la côte du Sinaï en tirant de petit bords car chaque fois que l’on s’en éloigne, la mer devient beaucoup plus agitée nous ralentissant énormément même si le vent forcit aussi. De jour cette côte est un spectacle magnifique. Les montagnes sont là toute proches, par endroit, elles tombent directement dans la mer, en arrière plan on distingue une autre chaîne encore plus haute. Ses montagnes très escarpées sont entrecoupées de vallées et de gorges (wadi) étroites et profondes. En dehors des villages bâtis sur la côte elle semble totalement inhabitée et parfaitement impénétrables. Pas une trace de végétation, un paysage minéral à l’état pur. Les couleurs vont du presque blanc jusqu’au noir en passant par toutes les nuances d’ocre. Un vrai régal pour les yeux sans parler des millénaires d’histoire que ces montagnes évoquent.

On reste loin du couloir de navigation des cargos donc de ce côté là pas de soucis. Par contre le long de la côte il y a énormément de plateformes pétrolières, en certains endroits très proches les une des autres, elles sont heureusement clairement indiquées sur les cartes et de toute façon éclairée la nuit comme de vrai sapins de noël. Il y a aussi beaucoup de pêcheur qui chalute à très faible vitesse sans AIS. De jour ils ne posent pas de problème par contre la nuit, leur éclairage de pont masquant complètement leur feux de routes leurs mouvements sont très difficiles à identifier. Inutile de vous dire qu’entre tous ces obstacles et les très nombreux virement de bord effectués, on a pas dormi beaucoup dans cette remontée du golf de Suez. Mais nos efforts portent leurs fruits, nous ne sommes plus qu’à une trentaine de milles de Suez et nous n’avons pas touché au moteur depuis la Mer Rouge. La nuit tombe sur Ras Matarma et le vent au lieu de se calmer comme prévu se renforce à 22 nœuds levant à nouveau ce foutu clapot et c’est au même moment que le courant contraire se renforce. En plus le clapot devient très creux et Rêve à Deux tape beaucoup. Notre progression sur le fond tombe à moins de 2 nœuds. La tentation est forte de s’arrêter pour la nuit à Ras el Sudr, distante de quelques milles et qui semble bien abrité. Mais après consultation de la météo (pour ce qu’elle vaut dans le coin) nous en venons à la conclusion que ce n’est pas une bonne idée car çà nous ferait arriver demain après midi à Suez avec 25 nœuds de vent. Patience, on continue donc en se consacrant à fond à la marche du bateau, peaufinant les réglages pour avoir la meilleure VMC/VMG et à peine passé la pointe, le vent faiblit d’un cran et le courant s’efface, on progresse à nouveau normalement. Vers 02:00 nous approchons de la Zone Victor, là où sont mouillés les plus grands navires en attente. Appel VHF sur canal 14 pour annoncer notre arrivée à Suez Port Control. Ils nous demande de nous diriger vers Whisky 1 à 13 milles de notre position. Nous glissons sur une mer devenue parfaitement calme entre les dizaines d’immenses portes containers et autres super tankers endormis. Tous sont à l’ancre, rien ne bouge sur le plan d’eau et leur éclairage de pont nous permet d’y voir comme en plein jour : l’heure idéale pour arriver, heureusement qu’on ne s’est pas arrêtés. Comme nous arrivons sur la Zone whisky, Port control nous rappelle pour nous demander de poursuivre et d’ancrer à Charlie 2 juste devant les digues de Port Suez. On doit les rappeler à partir de 08:00 pour aller au Yacht Club (arrêt obligatoire pour les formalités). Çà nous fait à peine 3 heures à dormir, on s’effondre dans la couchette non sans avoir coupé la VHF qui résonne depuis quelques instants d’appels demandant aux premiers navires du convoi de ce matin de commencer à se préparer.

Quand le réveil sonne à 07:30, ils sont tous déjà partis. Vers 8:30 Port Control nous appelle pour nous confirmer que nous pouvons y aller. On lève l’ancre aussitôt, le Yacht Club est juste à 15’ à l’entrée du Canal. Captain Heebi, notre agent (Prince of the Red Sea) est là nous attendant sur le ponton. On se met à couple d’Akela le bateau Jalil un français arrivant des Seychelles via Socotra et souffrant d’un redoutable mal de dents. Les formalités sont rapidement et efficacement expédiées, merci Captain Heebi. On en profite pour nettoyer un peu le bateau. Bien que nous n’ayons pas passé beaucoup de temps dans les marsas, il est couvert de poussière du désert et de sel. On transvase aussi le contenu de quelques jerrycans dans le réservoir.

Bilan carburant depuis notre départ de Tanga : nous avons consommé 220 litres de gasoil, 140, dans le golfe d’Aden et la partie sud de la mer Rouge et 80 dans la partie nord et le golfe de Suez soit un total de 140 heures de moteur (dont 30 parce que nous ne pouvions utiliser notre foc) sur un temps de traversée total de 29 jours en mer. Cette remontée de la mer rouge m’a paru une éternité mais nous sommes heureux de l’avoir fait c’était un chalange réussi.

Demain notre pilote arrive à bord à 06:00, Il est temps d’aller dormir.

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